Films (complets ou en extraits, bandes-annonces)

Les traversées de Forrest Gump (film de Robert Zemeckis, 1994)

Certaines traversées peuvent apparaître sans but apparent, comme celles répétées par le héros Forrest Gump dans le film de Robert Zemeckis (1994) : « he just runs »…« with no particular reason ». L’individu part de chez lui en Alabama, court jusqu’au bout de la route, puis à travers la ville, puis à travers le comté, l’État et finalement le pays. Dans ce type de pratique de l’espace, la « compétence scalaire » (Lussault 2013) est sans nul doute engagée. D’abord seul, il va être suivi par des foules de plus en plus nombreuses, dans une succession de traversées effectuées sur la route et où sont figurées des représentations qui servent de marqueurs spatiaux, des phares des côtes du Maine aux rivages du Pacifique. Dans ce processus, jamais l’acteur fictionnel opérant ne semble repasser au même endroit, ni s’arrêter, avant, au bout de trois ans, de décider qu’« il est fatigué » et de stopper, au milieu de nulle part. Il s’agit alors d’un changement de quotidienneté et non d’un passage d’une quotidienneté à une banalité.

Se reporter éventuellement à l’article « Traverser l’espace » dans la revue « Espacestemps.net ».

 

La traversée de Paris, film de Cl. Autant-Lara (1956)

Dans l’imaginaire collectif, la « traversée de Paris » ne renvoie-t-elle pas d’ailleurs volontiers au célèbre film de Claude Autant-Lara (1956), lui-même inspiré d’une nouvelle de Marcel Aymé ? L’inscription dans l’espace euclidien s’efface alors clairement devant ce qui relève d’un parcours initiatique pour les deux principaux protagonistes, dont jusqu’aux patronymes (Grandgil et Martin) rendent compte des dimensions sociales archétypales. Plus qu’un itinéraire dont la précision et les coordonnées importent peu, ou qu’un lieu (« 45 rue Poliveau ») scandé dans les dialogues, c’est la trajectoire sociale dont on interroge alors le sens dans l’espace parisien.

Se reporter éventuellement à l’article « Traverser l’espace » dans la revue « Espacestemps.net ».

The American, film d’Anton Corbijn (2010)

Dans The American (une image de l’altérité dans un film européen à tous points de vue), d’Anton Corbijn (2010), le récit s’appuie  sur un grand nombre de signes spatiaux traversants. Au début du film, le héros, un tueur à gages, traverse l’Europe depuis la Suède (où la photographie travaille des couleurs chaudes pour l’intérieur, le dedans, et des couleurs froides pour les extérieurs, le dehors), pour arriver à Rome. Puis vient le générique dont l’intégralité « se passe » dans la traversée d’un tunnel éclairé de jaunes. S’ensuit une traversée des Abruzzes dans laquelle l’acteur jette ses cartes routières par la fenêtre de son véhicule pour entrer dans un nouvel espace, inversé en quelque sorte (ce que traduit la permutation parfaite des codes photographiques évoqués plus haut). La figure des spirales est alors omniprésente : dans le cheminement sur les routes de montagne (repris dans de nombreux plans de coupe), dans la circulation giratoire définie par les rues en pente du village de Castel del Monte (un gimmick décliné en de multiples cellules), mais aussi dans ce fusil, maintes fois vissé et dévissé par le tueur à gages, voire encore dans les coiffures bouclées des héroïnes… Une scène centrale, au milieu du film, cristallise le protocole : alors qu’un aigle « circule » dans le ciel, nous sommes à la verticale du village et l’image tourne (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) précisément sur elle-même autour d’un axe fixe. Dans tout le film, il est question de distances. Le personnage solitaire essaie d’échapper à son passé ; et le fusil qu’il fabrique, cette arme qui sert à tuer à distance, ne l’empêchera au final pas d’être rattrapé et tué… à bout portant ! La somme de toutes les traversées propose ici une traversée totale.

Se reporter éventuellement à l’article « Traverser l’espace » dans la revue « Espacestemps.net ».

 

The Grandmaster, film de Wong Kar Waï (2013) – La fameuse scène du train…

« Ne te vante pas de ta technique, de la réputation de ton maître ou de la perfection de ton style. Le kung-fu, c’est deux mots : Horizontal. Vertical. Une erreur : horizontal. Seul le vainqueur reste debout » Dialogue de Ip. Man au pré-générique du film « Grandmasters » de Wong Kar-Waï (2013). Cette scène du combat en gare est plus qu’un des apex du film. Elle illustre une forme de condensation de l’espace et du temps, alors que le déroulement du train en arrière-plan semble interminable… Tandis que les mouvements spiralés alternent avec les déplacements linéaires, les contacts avec les évitements, c’est bien ainsi la question de la maîtrise spatiale qui fait la force de la scène !

Following, film de Christopher Nolan (1999)

La relation spatialité/espace (Lussault, 2007) de l’individu-acteur est bouleversée par ses agir multiples. Après une série de décalages spatiaux dont on devine de plus en plus qu’ils vont servir à caractériser les traversées, les différents retournements de situation du film produisent de nouvelles configurations spatiale. Le retournement spatial oblige à changer de perspective. Dans l’achèvement, l’acteur spatial est en fait celui qui regarde le film, le spectateur. La mise en scène propose en fait clairement un leurre d’achèvement en guise de clausule de l’intrigue. Il s’agit d’une épanadiplose narrative, soit la reprise d’une figure initiale, une fermeture du récit sur lui-même. Ce retour à la scène de départ, le récit fait au policier, signe une sorte de faux traverser puisque la narration finit par montrer l’inadéquation entre un traverser et la traversée. Un film passionnant pour étudier la relation spatialité/espace !

Vertigo (« Sueurs froides »), film d’Alfred Hitchcock (1958)

De prime abord, c’est un thriller à suspense, doublé d’une histoire d’amour impossible dans la baie de San Francisco. Mais, entre Scottie (James Stewart), le détective fragilisé, et Madeleine (Kim Novak), l’élégante suicidaire, se noue un lien absolument analogue à celui qui naît entre un spectateur de cinéma et un personnage de fiction.

La créature sophistiquée et tragique qui, seule, obsède, émeut et éblouit Scottie n’existe pas. Elle n’est qu’un trompe-l’œil, une chimère, une création – et peu importe que l’auteur de ce simulacre soit un escroc aux mobiles minables… Plus tard, la mort supposée de cette femme somptueuse conduit Scottie à vouloir la faire revivre par tous les moyens. Il s’acharne à transformer Judy,  inconnue sans éclat rencontrée dans la rue, en Madeleine. Il l’habille, la coiffe, lui dicte sa manière d’être, comme un cinéaste avec son actrice. Il ne trouve de consolation que lorsque l’illusion devient parfaite. Hitchtcock sait de quoi il parle, toujours épris de ses stars, et toujours déçu qu’elles ne soient pas à la hauteur de leurs personnages.

La ligne s’impose à la courbe et à la spirale d’une certaine façon puisque l’étymologie même de vertige (le latin vertigo) renvoie au mouvement tournant. Pour passer de la traversée au traverser, le vide ne doit pas ici être seulement compris dans un plan de base, mais bien comme une substance spatiale à laquelle la mise en relation peut donner un sens.

 

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